ISTANBUL 23-24 OCTOBRE 2010
Présentation Sénateure Edmonde Beauzile
Il m’a été demandé de présenter le thème suivant : « Employment Equal Opportunity and Income Equality ». L’équivalent en français se traduirait à peu près ainsi : « Egalité dans l’emploi et les revenus » En parcourant furtivement la documentation qui m’a été communiquée en rapport avec le forum, j’ai pu dégager l’idée centrale. Elle porte sur le renforcement du pouvoir des femmes dans la construction de la sécurité humaine. Comment donc associer l’égalité dans l’emploi et le renforcement du pouvoir des femmes ?
D’entrée de jeu, je dis qu’on ne peut parler d’égalité ni de pouvoir sans faire référence à l’Education et à la bonne gouvernance. C’est vrai qu’on parle de plus en plus fort de l’équité de genre mais le moyen le plus sûr d’y accéder est d’offrir des chances scolaires égales aux hommes et aux femmes qui représentent pour Mireille Neptune Anglade « l’autre moitié du développement ». L’homme et la femme ne sont-ils pas en effet crées égaux ? Je vais conduire mes réflexions sur l’origine et l’évolution du système éducatif en Haïti, sur le rôle des femmes dans la société haïtienne et sur le concept de la bonne gouvernance.
« Les responsabilités de l’école envers la société et envers tous les enfants doivent être envisagés dans une dynamique d’équité et de justice sociale. Tout enfant, quelque soit sa classe sociale, son sexe doit avoir la même chance d’accéder à l’éducation de base. C’est le fondement de la démocratie moderne. » (Pierre Enocque François, POLITIQUES EDUCATIVES ET INEGALITES DES CHANCES SCOLAIRES Pg 11)
Le 1er janvier 1804 Haïti existe comme un état indépendant. Tous les enfants n’accèdent pas à l’école cependant. La constitution de 1805 prévoit une école dans chacune des six divisions militaires du pays. Il y a donc six écoles, éparpillées sur le territoire national, accessibles seulement aux enfants de ceux qui avaient rendu de grands services dans la réalisation de l’indépendance nationale. L’enseignement était réservé à une catégorie de classe sociale. Dès l’indépendance, d’une manière générale, le système repose sur l’exclusion. En 1843, l’Education semble prendre un autre tournant avec la promulgation des textes de loi et la création du département de l’Instruction Publique. La charte de 1843 en son article 31 stipule : « L’enseignement est libre et les écoles sont distribuées graduellement en raison de la population. Chaque commune a des écoles primaires de l’un ou de l’autre sexe, gratuites et communes à tous les citoyens. » A partir de 1859, les responsables tentent de démocratiser l’instruction publique par la création d’écoles. De 54 établissements, on en compte maintenant 231. Le nombre de bénéficiaires passent de neuf mille (9.000) élèves à quatre cent quinze mille quatre cent dix sept (415.417) élèves et étudiants.
Les filles fréquentent-elles l’école à cette époque ? Les statistiques dénombrent 41 écoles primaires de filles, 50 écoles rurales des deux sexes. En 1906, le nombre d’écoles urbaines de garçons et de filles s’élèvent à 210 selon Edner Brutus. De nos jours, les filles vont autant à l’école que les garçons. Le degré d’alphabétisme de la population de dix ans et plus est de 61% dans l’ensemble du pays. Il est plus élevé chez les hommes que chez les femmes : 63.8% contre 58.3%. Le degré d’alphabétisme est de loin meilleur en milieu urbain qu’en milieu rural (80.5% contre 47.1%) mais valent-elles autant sur le marché du travail ? Dans ce domaine, disons que l’homme et la femme ne sont pas à chance égale. En raison de l’image que la société fait de la femme, celle-ci est plutôt reléguée à des emplois de faible revenu. Ce qui accentue le phénomène de pauvreté chez la femme, phénomène commun aux pays en voie de développement. On parle alors d’un processus de féminisation de la pauvreté liée à la privation des possibilités de choix et d’opportunités qui permettraient aux femmes de mener une vie décente. Parmi ces choix et opportunités, on retrouve, par exemple, l’éducation, la santé et la participation citoyenne. D’une manière générale, dans les pays en voie de développement, la vulnérabilité économique des femmes découle, entre autres, des inégalités entre les hommes et les femmes et d’une distribution injuste des ressources au sein du ménage. En Haïti, en effet, Il n’ya pas longtemps, la femme mariée était considérée comme un mineur. Même bien formée, elle restait à la maison pour s’adonner aux taches domestiques. Elle n’avait pas le plein exercice de sa capacité juridique. Elle ne pouvait, par exemple, faire des actes de commerce sans l’autorisation de son mari. Le décret du 8 octobre 1982 est venu fixer un nouveau statut à la femme mariée. Désormais elle est considérée comme une personne. A l’inverse, la femme célibataire/mère ou qui vivait dans le concubinage était mal perçue. En grande partie, on la retrouve en milieu rural, un milieu au départ défavorisé parce que démuni d’école. Elle est marginalisée. Pourtant c’est cette catégorie méprisée qui joue un rôle important dans le développement économique local. Elle domine le secteur informel. L’analyse des statistiques du secteur commercial révèle qu’elle s’y taille la place du lion. Plus de 90% de femmes s’adonnent à cette activité. Ce qui a fait dire à un auteur féministe contemporain : « qui dit commerce en Haïti dit femme, et même qui dit commercialisation dit féminisation » On y retrouve :
1. La commerçante rurale qui sert d’agent de contact entre le producteur rural et le consommateur urbain ou rural. Elle peut être elle-même à la fois agricultrice et commerçante. Elle circule d’un marché à l’autre, passant même la nuit la veille pour être disponible pour ses clients au petit jour. Elle offre en plus des produits agricoles, des produits de première nécessité importés ou locaux.
2. La Madam Sara. Elle est l’agent de relation villes campagnes et campagnes villes. Elle brasse des affaires plus ou moins importantes, plus ou moins spécialisées et engage des sommes plus ou moins fortes.
3. Les marchandes qui partent régulièrement vers la République Dominicaine, vers Puerto Rico et qui ramènent des produits importés.
Quelle est la rentabilité de tout cet effort qu’elle déploie ? Des tentatives d’estimation de la marge de profit prouvent qu’elle n’en tire pas une grande richesse. Ces estimations indiquent qu’elle ne gagne que 5% sur le prix de vente. A tout ceci, il faut ajouter la dureté des conditions de vie : longues heures de travail, difficultés de toutes sortes pour dédouaner les marchandises, longues distances parcourues à pied avec de lourds fardeaux sur la tête et le caractère pénible des transports en commun. Cette catégorie doit aussi s’occuper de son foyer et de ses enfants car en majorité elle est monoparentale et même quand elle vit en couple, la tradition empêche encore à l’homme de partager les taches ménagères dites féminines.
Egalité dans l’emploi et les revenus, oui on doit en arriver là mais il y a beaucoup à faire. Haïti est confrontée à des problèmes majeurs en matière d’emploi. Elle accuse le taux de chômage le plus élevé de la région soit un taux de 70% à la fin du cycle économique de l’année 2008. Pour la seule année 2007-2008, 2179 étudiants (répartis entre1305 hommes et 874 femmes) sont sortis diplômés (donc disponibles sur le marché du travail), totalisant 8% des étudiants inscrits dans 34 Institutions d’Enseignement Supérieur (IES) reconnues, selon un rapport préliminaire de la Direction de l’Enseignement Supérieur (DESRS) en Haïti. Ce chiffre serait beaucoup plus élevé si l’on incluait les diplômés de l’Université d’Etat d’Haïti (11 facultés plus les Ecoles de Droit de province), des Universités publiques en Région (Nord, Artibonite, Sud) et d’autres IES publiques (Ecoles Nationales d’Infirmières, ENST, ENGA, CTPEA,
ENARTS) avec leurs 28000 étudiants inscrits.
Ce chiffre ne prend pas non plus en compte les diplômés de 91 centres de formation technique ou professionnelle reconnus par l’Institut de Formation Professionnelle (INFP). Une étude récente de la banque mondiale a montré qu’Haïti a un des taux de migrants très éduqués les plus élevés au monde. Il est reconnu pourtant qu’Haïti fait face à une carence de ressources humaines qualifiées. Il faut pour cela produire une réflexion sérieuse autour d’une politique agressive de l’emploi capable d’aboutir à la création d’un véritable marché de l’emploi en Haïti. De nos jours, les femmes sont considérées comme des citoyennes à part entière. Pourtant qu’est-ce qu’elles représentent sur le plan politique ? A la 48ème législature, le Sénat comptait 4 femmes Sénatrices sur 30, la chambre des Députés en comptait 4 sur 99. Le gouvernement comptait deux ministres- femmes en son sein. Sur le marché du travail, les compétences féminines doivent affronter le cynisme des patrons. Les postes de responsabilité sont difficilement confiés aux femmes. Tout ceci prouve qu’elles doivent continuer à lutter pour faire sauter les verrous sociaux, pour éliminer les préjugés défavorables aux femmes. Déjà je viens de parler du rôle des femmes dans le développement local. Pour renforcer leur pouvoir, il faut leur faciliter des services financiers, leur donner accès au capital par exemple. C’est grâce à leur créativité et à leur courage que plusieurs emplois directs ou indirects sont crées. Les femmes professionnelles deviendront égales aux hommes dans l’emploi si elles continuent à se battre avec l’homme à ses cotés pour transformer davantage la mentalité, pour la bonne gouvernance.
Tous les experts et analystes conviennent que la mauvaise gouvernance représente l’un des facteurs importants de ce blocage, empêchant ainsi au pays de passer de la tradition à la modernité. L’analyse de l’Etat au cours des dernières décennies permet d’identifier trois grandes crises majeures : crise de légitimité, crise d’efficacité et de productivité et crise de répartition des ressources. Jean Charles Mervil propose la définition suivante de la gouvernance : « L’exercice de l’autorité économique, politique et administrative en vue de gérer les affaires d’un pays à tous les niveaux. Il englobe d’une part, les mécanismes, processus et institutions par le biais desquels les citoyens et les groupes expriment leurs intérêts, exercent leurs droits, assurent leurs obligations et, d’autre part, les institutions auxquelles les citoyens s’adressent en vue de régler leurs différends. Les caractéristiques de la bonne gouvernance selon lui sont :
1. La participation dans la prise de décision directement ou par l’intermédiaire d’institutions légitimes qui représentent les intérêts des populations, fondée sur le respect des droits de l’homme.
2. La transparence fondée sur la libre circulation de l’information. Les personnes concernées peuvent avoir accès aux processus et institutions pour comprendre et suivre les questions qui les concernent.
3. La responsabilité des décideurs qui ont l’obligation de rendre compte à la population.
4. L’efficacité et l’efficience : les processus et les institutions donnent des résultats en fonction des besoins tout en utilisant au mieux les ressources disponibles.
5. L’équité : tous les hommes et les femmes ont la possibilité d’améliorer ou de maintenir leurs conditions de vie.
6. Primauté du droit. Les cadres juridiques doivent être équitables et les textes juridiques appliqués de façon impartiale.
7. Orientation du consensus : la bonne gouvernance joue un rôle d’intermédiaire entre des intérêts différents pour aboutir à un large consensus.
8. Vision stratégique : les dirigeants et le public ont une vaste perspective à long terme de la gouvernance et du développement humain, ainsi qu’une idée de ce qui est nécessaire pou y parvenir.
Le préambule de la constitution de 1987, continue-t-il, énonce sans équivoque le type de société à édifier. Il est dit en effet, le peuple haïtien proclame la présente constitution :
- Pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur conformément à son acte d’indépendance de 1804 et à la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
- Pour constituer une nation haïtienne socialement juste, économique, libre et politiquement indépendante.
- Pour rétablir un état stable et fort, capable de protéger les valeurs, les traditions, la souveraineté, l’indépendance et la vision nationale.
- Pour fortifier l’unité, en éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communauté de langues et la culture et par la reconnaissance du droit au progrès, à l’éducation, à la santé, au travail et au loisir pour tous les citoyens.
- Pour assurer la séparation et la réparation harmonieuse des pouvoirs de l’Etat au service des intérêts fondamentaux et prioritaires de la Nation Haïtienne.
- Pour instaurer un régime de gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation, et la participation de toute la population aux grandes décisions devant engager la vie nationale par une décentralisation effective.
La constitution est l’outil juridique par excellence qui reconnait le droit inaliénable et imprescriptible de la femme. Elle inclut tous ses fils, toutes ses filles dans la transformation d’une Haïti dynamique. L’écrasante pesanteur des traditions politiques et culturelles qui ont structuré Haïti depuis près de deux siècles empêche encore d’asseoir les bases légales de ce nouveau contrat social. L’autre moitié du développement doit continuer à mener le combat pour l’édification d’une nouvelle société. Portons les revendications jusqu’au triomphe de la cause. Luttons pour une société juste, équilibrée, sans exclusion en vue de la sécurité humaine. Nos compagnons se sentiront certainement protégés. Je terminerai avec la pensée de John Stuart Mill : « Nous pouvons affirmer en toute certitude que la connaissance que les hommes peuvent acquérir des femmes, de ce qu’elles ont été dans le passé, de ce qu’elles sont, sans parler de ce qu’elles pourraient être, est déplorablement limitée et superficielle et le restera tant que les femmes n’auront pas dit tout ce qu’elles ont à dire. »
Et en profite pour lancer un appel aux membres du PGA dans le cadre d’une vraie diplomatie parlementaire, qu’une meilleure solidarité soit développée au besoin entre parlements membres. Je cite en exemple la lettre des Sénateurs haïtiens après le séisme, adressée au Président du GPA, copiée aux membres du GPA et qui est restée à date sans même un accusé de réception. Il y a nécessité de faire le plaidoyer pour que cette structure parlementaire internationale que représente le PGA soit plus a l’écoute de ses membres et qu’ensemble nous arrivions à vaincre l’inaction des pouvoirs exécutifs ou législatifs dans l’adoption de mesures sans lesquelles la survie de certains parlements pourrait même être remise en question.