Conférence sur le système éducatif Haïtien
Prononcée par la Sénatrice Beauzile , membre la commission Education du Senat
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs
Bonsoir a chacun d’entre vous.
Pour commencer, je voudrais adresser un message de chaleureuse bienvenue à vous tous qui avez fait le déplacement pour donner à ce moment toute sa grande valeur. J’ai toujours compris que la mise sur pied d’un dialogue constructif entre la diaspora et les autorités du pays est une démarche de haute portée appelée à servir la cause de notre patrimoine commun, la terre de nos ancêtres .
Permettez-moi de vous dire que je ne pourrai, dans aucune forme connue, exprimer l’immense plaisir qui m’habite à l’occasion de cette délicieuse rencontre organisée ici dans cet espace qui a nom : Regie Lewis Center. Je salue, avec tout mon sens bien poussé des relations avec autrui, les initiateurs de ce projet qui, dans son essence, transpose sur la terre étrangère une partie du problème qui fait obstacle au développement de la terre natale : l’éducation. Cela renseigne, s’il en était besoin, de l’attache des citoyens que vous êtes à la terre de vos origines ou à celle de vos parents. . Vous signifiez par ce seul geste vos préoccupations sur les problèmes de la cité et votre rêve de la voir se transformer au bénéfice de tous ses fils. Que ce 26 avril soit le point de départ de toute une série de rendez vous pour réfléchir ensemble de manière intelligente sur notre pays, à l’instar des pères fondateurs, nous devons croire en un futur meilleur d’Haïti. C’est mon rêve de tous les instants et c’est ma seule motivation dans tous mes actes politiques.
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Educatrice de formation j’ai longtemps compris que le système éducatif haïtien fait face à un ensemble de contraintes qui contrarie sa vocation depuis toujours. Devenue senatrice de la république je suis consciente que le pays a beaucoup à faire pour conférer à ce secteur sa vraie place dans le besoin de reconstruire la patrie qui se trouve de nos jours dans un contexte bien difficile.
Il m’a été demandé dans le cadre de cette causerie de faire l’état des lieux du système éducatif haïtien, son organisation, les problèmes auxquels il fait face et de concevoir la forme idéale que peut prendre la contribution de la diaspora haïtienne et des amis du pays pour une substantielle amélioration. Tache difficile j’en conviens, je ferai tout mon possible pour être à la hauteur et combler les attentes d’un public bien select que vous formez et qui a droit à des informations pertinentes sur une des structures les plus importantes responsables de la gestion de notre pays.
Haïti un pays particulier
Bien avant de camper le système éducatif haïtien qui est un élément de sa structuration globale il est à mon sens nécessaire de faire une présentation de cet espace qui réunit toutes les caractéristiques d’un Pays Moins Avancé et qui se manifestent éloquemment dans toutes les structures de son organisation. Je répète après un analyste qui quelque part dit : « Toute considération sur l’éducation en Haïti commande une analyse globale sur le pays à l’effet de se fixer sur sa situation.Il s’agit de réfléchir sur les raisons explicatives des réalités constatées,la part des budgets du pays allouée à ce secteur et la nécessité de trouver la bonne formule pour concevoir le progrès de la société sur des bases plus scientifiques. Il est grand temps de se dire qu’aucun changement n’est ni dans les ateliers , ni dans les rues, il est à l’école.
Haïti accuse un taux de chômage qui oscille entre 60 et 70%. Le revenu per capita est parmi les plus bas du monde 332,33$/h. La couverture forestière du pays est de moins de 2%. L’espérance de vie est de 52 ans. L’indice de développement humain situe Haïti en 2007 à la 146eme place sur 177 pays. La dette du pays est évaluée à 1,7milliar $. 40% de la population est analphabète. Le Taux de mortalité infantile est de 62,33 pour mille (2008), le plus élevé dans l’hémisphère occidental. 60%de la population,, essentiellement dans les zones rurales, n’ont pas accès aux soins de santé ; dans ce pays on compte 2,7% de médecin pour 10.000 h.
Le taux de prévalence du sida est près de 5,6% dans les campagnes et jusqu'à 12% dans les villes
Les données statistiques qui caractérisent notre pays renvoient à une société qui exprime son incapacité quant à faire face à ses problèmes les plus cruciaux.
En plus, dans cette société, il existe une très grande disparité dans la distribution des richesses seulement 4%de la population disposent de 65% des ressources, tandis que16%disposent de14% des ressources, le reste de la population possèdent 2% vivent en dessous du seuil de pauvreté absolue.
Vers une présentation du système éducatif haïtien
Le système éducatif haïtien actuel se veut un mélange de conception de la réforme Bernard (mars 1982) et le plan National d’éducation et de formation (PNEF -1987) .Il comprend : L’éducation préscolaire, l’école fondamentale, (qui remplacerait l’école primaire et les trois premières années du secondaire traditionnel) la formation professionnelle et l’enseignement supérieur. L’enseignement fondamental a pour objectif d’amener le maximum d’élèves à un niveau de connaissances générales, scientifiques et techniques par la maîtrise des outils de base essentiels à leur intégration sociale, leur insertion dans la vie active et leur insertion au niveau du secondaire.
L’enseignement préscolaire s’adresse aux enfants de 3 à 5 ans. Il a pour but de contribuer au développement de la personnalité de l’enfant sous toutes ses formes.
L’enseignement fondamental est constitué de trois cycles, les deux premiers étant conçus comme le niveau d’éducation de base qui englobe le primaire et le troisième comme un niveau d’orientation. Le premier cycle comprend quatre ans d’étude, le deuxième deux ans et le troisième trois ans. La fin du deuxième cycle est sanctionnée par un examen.
Le troisième cycle général (7eme AF,8eme et 9AF) conduit au diplôme de fin d’études fondamentales
A la suite d’un examen d’état le jeune âgé de 15 ans rentre dans un nouveau secondaire divisé en filières classiques et filières techniques et professionnelles.Le secondaire classique comprend les lettres,les sciences, les sciences économiques et sociales..Les filières techniques sont composées des branches suivantes : gestion, éducation, techniques industrielles et agricoles.
L’année académique s’étend sur 10 mois. Les nombreux troubles politiques de 1986 à nos jours ont sévèrement réduit le temps d’apprentissage (de 1986 à nos jours l’on ne compte que trois années régulières).
Vingt sept ans après la conception d’un système appelé à remplacer l’enseignement dit traditionnel les réalités globales qui l’entourent ne permettent de dire que tout va bien.
Les problèmes d’un système éducatif
a) Une école qui fonctionne à exclusion
Selon le dernier recensement mené en Haïti en 2003, les jeunes de moins vingt ans représentent 48% de la population qui se chiffre à 9.445.947 sans compter les 2.5 millions d’haïtiens à l’étranger. De ce nombre, moins de la moitié ont fréquenté un établissement scolaire. Sur l’ensemble de la population âgée de cinq et plus, 37,4%n’ont aucun niveau d’études, 35,2% ont atteint le niveau primaire et 21.5% le niveau secondaire. La proportion des personnes ayant le niveau universitaire n’est que de 1%. Le système éducatif confronte pas mal de problèmes et des difficultés liés tant qu’a l’accès qu’a la qualité de l’éducation. Le pourcentage de redoublants reste important tant au niveau du secteur public qu’a celui du privé. Il est beaucoup plus élevé dans le secteur public ou 24% des élèves de première année sont des redoublants contre 14%seulement au privé. En ce qui concerne le milieu rural, on y trouve18% d’élèves de 1ere année qui redoublent contre 15% en milieu urbain
Les taux de scolarisation des 10-14 restent plus élevés que ceux des 6 à 9ans Cet accès tardif à l’école qui explique la présence des sur âgés dans les classes du primaire n’est pas neutre sur la performance du système. Les taux d’abandon et de redoublement, par exemple restent à des niveaux élevés. Le pourcentage d’enfants ayant bouclé un cycle d’études complet diminue, passant de 45%en 1993 à environ 35,5% en 2002, alors que le pourcentage des sur âgés passe de 24,7%en 1996 à un peu plus de 42%. La durée vie scolaire d’un enfant en moyenne est de 3 années 9 mois ce qui est nettement insuffisant pour lui garantir un bagage suffisant. La déscolarisation précoce des enfants constitue un enjeu majeur pour le système éducatif. On estime en effet que seulement deux enfants sur 10 qui entrent en première année du primaire atteindront la 5eme année et encore moins de 2% termineront le secondaire. Selon les données statistiques de 1999-2000,21% des enfants de 6 à 9 ans ne sont jamais allés à l’école. La raison principale évoquée réfère au fait que les enfants à cet âge manquent d’autonomie pour parcourir à pied les nombreux kms séparant leurs habitations des établissements. La carte scolaire en Haïti ne correspond pas à des demandes exprimées selon les besoins géographiques.
b) Une école gérée par le secteur prive
Le système d’éducation en Haïti se caractérise par un taux élevé d’établissements d’enseignement privé comparé au nombre d’établissements publics. Plus de 65% des écoles du pays appartiennent au secteur privé.Sur les 889.380 écoles du primaire, seulement 320.000 sont inscrits dans les écoles publiques. Au niveau secondaire, le ratio écoles privées \écoles publiques est encore plus élevé qu’au primaire.84% des écoles du secondaire sont du privé.
Le secteur privé contrôle 67% des écoles fondamentales, 75% des écoles secondaires, 80% des universités.La privatisation de l’éducation s’accompagne d’une augmentation vertigineuse des frais scolaires. Entre 1993 et 2008 ils augmentent d’environ 60%. C’est la famille qui finance globalement l’éducation. Le financement de l’éducation connaît trois sources d’après Serge Petit Frère : l’Etat 7%, les donateurs étrangers 32%(16%par voie bilatérale, 16% par le biais de ONG) et les familles 61% avec une part active de la diaspora…
c)Des enseignants non qualifies pour un système éducatif
Seuls 15% des enseignants engagés ont le profil académique requis pour enseigner. L’ancien ministre de l’éducation Nationale Merisier 2002 : seuls trois des dix départements scolaires du pays en 1999 ont pu accuser un taux de réussite aux examens de 6eme année qui dépasse 50% des effectifs concernés. Ce taux est de 6% dans le département du Nord -0uest.
d) Des infrastructures inappropriées
Le manque d’infrastructure scolaire s’ajoute à la faiblesse générale de l’infrastructure nationale, pas assez de locaux ni de routes pour permettre à des inspecteurs de visiter régulièrement certaines écoles
e) Une école sans ouvrages scolaires
L’inexistence ou l’inéquation des manuels scolaires constitue une des faiblesses du système. Si au niveau primaire les titres sont bien nombreux, ils ne sont pas également distribués dans le pays, le secteur urbain demeure nettement favorisé. Au niveau secondaire les élèves ne disposent pas d’outils appropries a un enseignement régulier.
f) Des difficultés économiques pour les parents
Le manque de ressources tant au niveau des ménages qu’au niveau de l’état, mêlé à une instabilité socio politique affectent le système éducatif haïtien. La pauvreté et la marginalisation font qu’un grand nombre d’enfants haïtiens ne peuvent jouir de leur droit à l’éducation. Les enfants qui vivent en milieu rural sont les plus touchés. Les filles quoique plus nombreuses vont moins à l’école que les garçons : 49% des filles vont à l’école contre 52% pour les garçons.
g) Un enseignement supérieur mal pensé
L’enseignement Supérieur prolonge les difficultés du système éducatif haïtien. Le morceau du budget consacre a l’université est dérisoire soit de 1%.Il en est résulté une inadéquation entre les capacités d’accueil et les demandes des jeunes. Près de 40.000 élèves passent le baccalauréat 2eme partie pour 4000 places seulement à l’université d’état. Encore le prive supplée toujours dans sa logique un peu plus de maximiser les profits.
Les réalités du système éducatif haïtien permettent de se dire que ce secteur n’est pas un centre d’intérêt manifeste pour l état du pays.Les éléments qui rendent compte de cette analyse sont les suivants :
· Un morceau bien faible du budget consacré à l’éducation……
De ce faible montant il a été prouvé que 90% sont destinés au paiement du personnel et seulement 10%sont destinés au matériel didactique,à la formation du personnel,aux frais de fonctionnement et de déplacement.
· Exclusion d’un pourcentage trop grand d’enfant au processus d’apprentissage.
· Faiblesse de préparation des enseignants.
· Absence de contrôle de l’état des travaux scolaires.
· Manque exagéré infrastructures scolaires.
· L’inexistence de matériels scolaires.
· Un milieu rural totalement défavorisé
· Le flou de la politique éducative.
· Le caractère vétuste des lois
Qu’il me soit permis a cette phase de la présentation de partager avec l’assistance le travail admirable qu’est en train de réaliser la commission d’éducation du parlement pour doter le système d’un corpus juridique approprié aux réalités nouvelles que commande le développement du système .A ce compte, des forums nationaux sont tenus à ’échelle de tous les départements pour réunir des informations bien pertinentes à l’effet d’enrichir les lois des expériences de tous les ouvriers de l’éducation . . Il est important de regarder l’éducation dans son état actuel comme cause et conséquence de nos drames. Les deux plus grands fléaux qui entravent le développement de la société sont l’ignorance et la misère. Ils doivent être combattus. Pays classé dans la catégorie des PMA, il fait face à de nombreux défis d’ordre socio économique et environnemental, dégradation des ressources naturelles, de désastres naturels.. L’école représente l’avenir ; elle est le seul moyen d’accès à la culture et symbolise le changement de tout un peuple.
Réaffirmons que l’éducation est un facteur clé du recul de la pauvreté, de la reconnaissance et de la garantie de la dignité humaine. Elle est un puissant levier de développement. Le droit à l’éducation n’est pas une simple affaire technique et financière. Il s’inscrit avant tout dans une volonté politique commune de construire de nouveaux rapports entre les peuples pour un monde équilibré et solidaire. Le plus sur des enjeux pour le développement de l’équilibre de la société haïtienne demeure une prise en charge plus responsable de l’éducation.
La contribution de la diaspora.
Sans vouloir être pessimiste ,qui n’a rien voir avec ma philosophie existentielle, les réalités qui entourent le système éducatif haïtien ,les conditions qui expliquent le fait sont telles que l’on ne pourra espérer pour demain une amélioration quelconque. A mon humble avis ,sans une transformation profonde de la société, sans un changement des conditions d’exister de citoyens,sans une augmentation de la production nationale,sans une décentralisation effective, sans une volonté réelle de la part des dirigeants, sans une augmentation du budget consacré à l’éducation (en 2006-2007 seulement 8.86% du budget, en 2007-2008, 8.61%), sans un choix définitif d’un système , sans des locaux adéquats,sans des professeurs qualifiés, sans des dirigeants bien imbus de leurs responsabilités,Haïti, la grande terre de la liberté ne pourra connaître des lendemains positifs et nos enfants n’auront pas un héritage dont ils seront fiers.
Le pari est à engager et si nous nous mettons avec détermination, nous pourrons créer un espace porteur de toutes les conditions agréables pour tous les fils de la Patrie. Cette démarche doit être accomplie sans aucune exclusion. L’on doit se mettre à chercher toutes les compétences haïtiennes où qu’elles se trouvent pour les intégrer dans une politique de grande vision pour la société. Je veux prendre prétexte de cette rencontre pour lancer ce qu j’appelle judicieusement : Comité d’experts de la Diaspora. Il sera chargé de canaliser toutes les idées et initiatives de la diaspora, afin de l’amener à s’engager résolument dans les programmes de reconstruction. La diaspora compte beaucoup de nos cadres parmi parmi les plus intellectuellement et les mieux techniquement outillés
J’aime utiliser le mot d’un chercheur sur la diaspora haïtienne : Nos professeurs d’université, nos médecins spécialisés, nos ingénieurs, nos économistes- beaucoup de nos compétences sont sous exploitées ou pas exploitées
du tout dans les milieux de la diaspora, alors que les besoins sont immenses en matière reconstruction et de développement
Chaque haïtien qui aime son pays doit se sentir interpellé pour donner sa petite ou sa grande contribution à l’édification de notre société nationale.
En attendant le plan global d’intervention, la diaspora pourra, après la mise sur pied d’un comité légitime conduire des actions ponctuelles dans des départements –à commencer par le Plateau Central que je représente au sénat. Elles prendraient les formes suivantes :
- Dons de fournitures scolaires aux enfants défavorisés.
- Aide à la construction d’écoles dans les milieux ruraux.
- Aide à l’achat des outils pédagogiques.
- Accompagnement des enfants dans les zones reculées dans leur scolarité.
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, j’espère que le temps à m’écouter a servi à apporter éclairage sur le système éducatif haïtien, ses manifestations, ses lacunes. Je me dirai que l’objectif de la rencontre aura été atteint lorsque pourra se mobiliser toute la diaspora en vue d’une participation éclairée à l’œuvre de reconstruction de la seule richesse que nous avons en commun ; Haïti la terre de Dessalines et de Charlemagne Péralte.
Merci de votre attention. Que s’ouvrent les débats pour donner à la rencontre un caractère plus participatif. Merci
Boston, le 26 avril 2009.
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